L’avenir de l’Opéra National de Bordeaux
Le Syndicat des Artistes et Musiciens de la Gironde CGT (SAM-Gironde) tient à informer à travers ce texte de ses très grandes inquiétudes concernant…
L’avenir de l’Opéra National de Bordeaux.
Cette structure de droit public permet à 340 salariés (dont 180 artistes) de présenter au public de Bordeaux et de la région Nouvelle Aquitaine des spectacles vivants financés notamment par la Ville de Bordeaux, l’État et la Région. Une convention quinquennale détermine ainsi l’orientation budgétaire et artistique de l’Opéra.
La loi LCAP (loi Liberté de Création, Architecture et Patrimoine) affirme le rôle du service public des arts, de la culture et de la communication ce qui est une bonne chose, mais sans définir les moyens alloués au spectacle vivant.
Pire, elle permet la possibilité de produire des spectacles mixtes réunissant des artistes interprètes déclarés et payés avec d’autres relevant des pratiques amateur. Sans encadrer ces pratiques amateur, les missions d’artistes professionnels permanents peuvent rapidement devenir une option trop couteuse à la collectivité. Plus d’un élu pourraient être tentés d’user copieusement de l’article 11A de cette loi LCAP, relatif à l’utilisation des amateurs. La profession et ses syndicats refusent cette solution. D’autre part la question du label national demande à l’Opéra un cahier des charges qui l’engage sur une période de 5 ans, sera-t-il respecté ?
Au delà de ces craintes, suite à la baisse de dotation de l’État aux collectivités territoriales, la ville de Bordeaux a fait le choix de réduire de 1,5 millions d’euros sur 2 ans sa contribution au fonctionnement de son Opéra. Ce choix impacte directement la qualité du service public au moment même où doit se renégocier la convention 2018-2022.
La nouvelle direction propose ainsi pour la saison 2016-17 des opéras sans mise en scène, dont 2 avec des ensembles orchestraux extérieurs, des ballets sans orchestre. La fosse orchestre de l’auditorium ne servira pas comme par le passé (Salomé, Tristan, Don Carlo). L’Orchestre National Bordeaux Aquitaine maintient cependant ses activités.
Dans le même temps le Conseil d’Administration modifie le contrat du Directeur Général (Marc Minkowski) : en plus de sa fonction il a obligation de se programmer en temps que chef d’orchestre sur un minimum de 7 productions : 2 en symphoniques et 5 en opéras ou ballets. Les baisses de subventions sont peu compatibles avec de tels choix qui provoqueront nécessairement une augmentation des dépenses du personnel permanent et ce en situation de cumul d’emploi : ce contrat d’une durée de 3 ans est validé sans concertation, alors qu’un Directeur Musical (Paul Daniel) est en poste depuis 2013. Enfin notre inquiétude depuis 2015, date du départ à la retraite annoncé de l’ancien Directeur Général (Thierry Fouquet), est due au refus par la ville de Bordeaux de nous communiquer le projet artistique de la nouvelle Direction. L’avenir sans connaître ce projet artistique nous paraît bien flou. Une consultation des musiciens de l’ONBA sur l’appréciation des chefs d’orchestre invités amenés à les diriger rejette clairement la possibilité pour Marc Minkowski de poursuivre ses projets avec eux. C’est une contradiction avec une collaboration artistique cohérente.
Notre nouvelle Direction devant tout le personnel de l’Opéra affirmait mettre un terme à ses activités de chef d’orchestre pour se consacrer à la gestion de l’Opéra aidé par un nouveau Directeur Administratif, poste de contractuel nommé pour 3 ans : ces propos ont été trahis.
Cette même Direction n’est d’ailleurs pas en mesure d’organiser dans de bonnes conditions artistiques un déplacement prévu en avril 2017 au festival international d’Aix en Provence. Faute de moyens financiers il est annulé.
Nous demandons au Conseil d’Administration de revenir sur son choix de modifier le contrat de Marc Minkowski.
Absence de communication du projet artistique, défiance de la grande majorité des musiciens sur les qualités attendues du chef d’orchestre Directeur Général (85% ne souhaitent pas être dirigés par lui, 15% ne se prononcent pas et 5% sont confiants), voici un avenir bien compliqué et très inquiétant.
Pourquoi la grève au Ballet de l’Opéra National de Bordeaux ?
La mobilisation a commencé le 23 décembre 2016, suite à l’annonce de la suppression de 12 postes au Ballet de l’Opéra National de Bordeaux.
Les discussions avec la Direction Générale furent difficiles, sournoises et stériles. Pour le personnel, mais surtout pour notre public, la diminution de l’effectif du ballet entrainerait la mise en danger du répertoire classique de la compagnie, son essence et ce pourquoi elle est reconnue. Le Ballet ne pourrait plus du tout faire de grands ballets classiques, ce patrimoine de la danse française créé par Louis XIV. Son anéantissement nuirait directement à la renommée de l’Opéra National de Bordeaux, institution reconnue, à son rayonnement national et international ainsi qu’à celui de la Ville. Les danseurs demandaient le maintien de l’effectif de 39 artistes pour garder une programmation de qualité et d’exigence.
Un préavis de grève a été déposé par le Ballet pour le 31 décembre 2016, soutenu par l’ensemble de l’Orchestre.
Il a été levé sous la contrainte d’un odieux chantage.
En effet, notre Direction Générale s’était engagée à garder 33 danseurs, mais les 6 postes permanents restaient en suspens sans aucune garantie d’être pourvus dès février 2017.
L’annonce de la volonté de la Mairie de passer à 21 danseurs si la grève était maintenue leur a fait lever ce préavis.
Ce résultat (le maintien des 12 postes) est à mettre au crédit de l’immense solidarité de tout le personnel (Musiciens de l’ONBA, Choristes, Techniciens et Administratifs de l’Opéra) et de la détermination courageuse des Artistes du Ballet qui ont assuré les spectacles de fin d’année avec une épée de Damoclès sur la tête…
L’histoire n’est pourtant pas finie car après avoir fait une série de 22 spectacles de Coppélia à guichet fermé dans des conditions de tension pendant le mois de décembre 2016, le Ballet est parti en repos. À son retour, 7 artistes chorégraphiques sur les 33 maintenus ont eu la désagréable surprise de n’avoir la reconduction d’un contrat CDD que de un an au lieu des 2 ans prévus dans le règlement des danseurs… Notre Direction Générale n’a même pas dénié les en informer et n’a donc pas tenu ses engagements auprès des syndicats, passant même outre la décision du Directeur de la Danse dont l’objectivité et la responsabilité de ses fonctions ne sont plus à démontrer : il a participé à la renommée nationale et internationale de ce Ballet.
Pour protester, le syndicat CGT menace de saisir le Tribunal Administratif le 6 février lors d’une rencontre avec la Presse. Cinq jours plus tard, la Présidente de l’Opéra répond par l’annonce de la « suspension » du Directeur de la Danse, pour formaliser, ne soyons pas dupes, son licenciement pour faute professionnelle.
Quelle classe!
Le financement de la culture est un vrai débat !
Au même titre que les hôpitaux, les écoles, la justice, etc. l’Opéra est un service public. Sans les subventions il meurt.
C’est par la permanence des emplois de ce secteur du spectacle vivant qu’une véritable politique culturelle nationale pourra être maintenue et garantir l’excellence.
Vers 1960, le ministère de la Culture voyait le jour et c’est avec André Malraux, dans les années 70, que l’ensemble des régions se sont dotées de véritables outils de transmission et diffusion de l’ART par la création de scènes subventionnées. (Maisons de la Culture, Orchestres et Opéras, Centres d’art dramatique, Conservatoire, etc.)
La CGT spectacle travaille depuis 1995 à veiller au maintien de ce service public de la culture, toujours fragilisé, non rentable, stigmatisé par certains élus comme élitiste. A travers ce conflit des Danseurs, se pose la question de l’emploi permanent dans le service public… Il est utile de préciser qu’en France, en dehors de l’Opéra National de Paris, seuls 4 ballets défendant le patrimoine d’un répertoire classique perdurent: le ballet National de Bordeaux, le Ballet National du Rhin, le Ballet du capitole de Toulouse et le Ballet l’Opéra de Nice.
Le nouveau Directeur Général de l’Opéra (Marc Minkowski) récemment nommé par la Mairie de Bordeaux n’a jamais eu cette culture du Service Public. Sans lui ôter sa bonne volonté d’élargir les activités des spectacles à plus de public, son expérience passée dans le domaine artistique s’est uniquement appuyée sur l’intermittence.
Il nous explique qu’en l’absence de nouveau type de financement de l’Opéra (Mécénat), il n’aura d’autre choix que de supprimer des emplois, et de faire appel à des intérimaires précaires. Nous refusons ce seul projet, le mécénat n’ayant pas vocation à durer dans le temps.
Parler du financement, c’est aussi faire le constat que l’emploi permanent est indissociable des salaires des Personnels qui œuvrent dans le seul but du « lever de rideau »…
Depuis 2002, date de la création de la Régie Personnalisée Opéra National de Bordeaux, le syndicat CGT n’a de cesse de revendiquer la clarification des grilles de salaire des différents services composant l’institution publique.
Des cadres d’emplois existent pour la filière Administrative et Technique, des titulaires de la Fonction Publique Territoriale sont alors rétribués selon leur qualification en catégorie C, B ou A. Ainsi, ce sont 80 postes de titulaires recensés à l’opéra dans l’organigramme de 2016.
Pour les métiers artistiques, ce sont des règlements internes (équivalents « d’accords d’entreprise » pour les Danseurs, Choristes et Musiciens) qui déterminent les salaires.
Ces personnels sont exclusivement recrutés sur concours d’entrée.
Un danseur commence sa « formation » à l’âge de 6 ans, les choristes doivent maîtriser le jeu d’acteur sur scène et mémoriser leurs rôles dans toutes les langues, les musiciens passent pour la plupart dès leur plus jeune âge des heures quotidiennes pour atteindre l’excellence : on ne peut être que surpris du niveau de leur rémunération brute mensuelle de base en début de carrière. (Danseur: 1 858 €, Choriste: 1 863 € et Musicien: 2 934 €).
A noter que les musiciens assument les 3 missions symphoniques, lyriques et chorégraphiques dans leur contrat de travail.
Le dernier Tableau des Effectifs montre hélas de graves distorsions à ces règles élémentaires pour les emplois des 261 contractuels dans les filières Artistiques, Administratives et Techniques avec 20 postes budgétaires largement supérieurs à 3 750 € bruts mensuels. Ceci est très curieux, car les titulaires de catégorie A en fin de carrière (Directeur et Administrateur hors classe) sont logiquement rémunérés 3 717 € et 3 824 € bruts mensuels auxquels peuvent se rajouter les régimes indemnitaires réglementés.
Les politiques d’austérité menées ces dernières années font plus que fragiliser ces institutions culturelles : nous en sommes au début.
Si lors des prochaines élections présidentielles l’impasse est faite sur ce débat, on pourrait bien assister à la disparition totale de ce service public de la culture (en particulier… et des autres malheureusement). Des actions « Je marche pour la culture » ont été menées et elles sont encore plus d’actualité.
« Remercier » le Directeur de la Danse est un déni de son action et du travail accompli au service du Public et de l’Opéra. C’est un signal très fort et désagréable, voire inacceptable, pour l’équipe des forces Artistiques déjà en place lors du changement de Direction Générale.
Sa réintégration est demandée par le Personnel.
L’audition des danseurs du 25 février qui a permis de sélectionner à un niveau international les 7 meilleurs artistes chorégraphiques apporte cependant quelque sérénité, mais l’engagement n’est que sur un an. Un projet de saison 2017-18 plus riche en nombre de productions devra permettre plus d’optimisme et nous faisons confiance pour cela à la volonté générale d’avancer. La Convention Pluriannuelle d’Objectifs 2018-2022 à laquelle les personnels seront associés devra s’appuyer sur plus d’engagements des tutelles pour la pérennité du Service Public de la Culture.
L’Opéra National de Bordeaux et l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine sont historiquement incontournables.
C’est pourquoi nos syndicats CGT du Spectacle continueront à en défendre l’excellence qui en fait leur réputation dans le respect des institutions du service public les soutenant, tout en restant attentifs et vigilants à la maîtrise des coûts ainsi que des choix artistiques qui les engageront pour les conventions à venir.
La réflexion actuelle autour de l’Opéra National de Bordeaux est d’autant plus importante que nous sommes un exemple pour l’ensemble de la profession.
Bordeaux, ville classée au Patrimoine Mondial de l’UNESCO, attirant un nombre croissant de touristes internationaux qui génèrent une manne substantielle des revenus directs et indirects pour l’économie locale, propose par son Service Public de la Culture une offre grandissante de spectacles vivants sur 2 lieux emblématiques : le Grand Théâtre du XVIIIème siècle et l’Auditorium inauguré en 2013.
Le fonctionnement de l’Opéra de Bordeaux ne peut être tiré vers le bas.
Bordeaux va encore se développer avec l’arrivée de la LGV, les moyens justes et pérennes doivent être posés au regard des missions artistiques qui seront de plus en plus sollicitées par les habitants de la Métropole.
Jean Bataillon, violoncelliste et représentant CGT du Personnel de l’Opéra National de Bordeaux
A Bordeaux, le 12 mars 2017.