Le SAMNA écrit à la ministre de la Culture
A Bordeaux, le 13 février 2024,
Madame la ministre de la Culture,
Nous avons écouté avec beaucoup d’attention vos vœux du 29 janvier dernier adressés aux acteurs culturels. En tant que syndicat représentant les artistes musicien·nes interprètes et enseignant·es de Nouvelle-Aquitaine, nous souhaitons y apporter un éclairage local et concret.
Tout d’abord, nous partageons totalement votre constat qu’actuellement « l’accès à la culture est loin d’être égal pour tous les français ».
Heureusement, nous sommes convaincu·es que le chantier n’est pas aussi colossal qu’il n’y paraît. En effet les bases d’un maillage culturel qualitatif – bien qu’encore trop distendu – sont existantes.
D’énormes efforts d’accessibilité à l’enseignement de la musique ont été entrepris depuis de nombreuses années. Les enseignant·es artistiques connaissent un niveau de formation grandissant et partagent l’objectif de permettre à chacun·e le libre exercice de ses droits culturels. Ils et elles œuvrent sur l’ensemble de notre région au plus près des populations, que ce soit dans le secteur public ou encore par le biais de structures associatives.
Les artistes intermittent·es, aux compétences de plus en plus diversifiées, se produisent dans tous les types de lieux, notamment grâce à la mise en place du GIP Cafés Cultures et de la récente création de son fonds « autres employeurs occasionnels ».
L’Opéra National de Bordeaux, premier employeur d’agents publics permanents du secteur et malheureusement seul employeur d’artistes permanent·es de toute la région Nouvelle-Aquitaine (chœur, ballet et orchestre), a fait de l’ouverture vers l’ensemble des citoyens son leitmotiv.
« Pour [vous] l’enjeu, ce n’est pas de se donner bonne conscience [mais] de faire, […] de faire plus, de faire mieux, et même de faire différemment. »
L’Opéra National de Bordeaux (ONB) met notamment en jeu l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine sur l’ensemble du département et de la région Nouvelle-Aquitaine par des missions riches et variées, au plus près des publics urbains et ruraux : répertoire symphonique, opéras, ballets, musiques de films, ciné-concerts, spectacles jeune public, musiques de jeux vidéo, jazz, musique électro, chanson française etc. Ces missions sont mises à mal par les difficultés financières que rencontre l’ONB et qui conduisent à appauvrir la programmation artistique, à raréfier les déplacements, à ralentir voire stopper les recrutements des artistes, technicien·nes et personnels administratifs, à ne pas remplacer les musicien·nes faisant valoir leurs droits à la retraite.
Comment imaginer que les moyens sont suffisants quand l’ONB, seule structure employant des artistes permanents, peine tant à assumer une petite centaine de musicien·nes d’orchestre pour remplir ses missions de diffusion au cœur de la plus grande région de France, la 3ème en nombre d’habitants, quand Paris et l’Île de France en comptent plus de 700 pour un territoire certes plus peuplé, mais bien moins étendu et moins isolé ?
Du côté de l’enseignement artistique, qu’il soit directement assuré par les collectivités locales ou bien par le truchement d’associations assurant une mission de service public, ce n’est guère mieux : le financement de ces services repose essentiellement sur les collectivités, exsangues. Les associations délivrant des cours perçoivent des subventions souvent insuffisantes. Les financements accordés par votre ministère sont fléchés pour l’essentiel vers l’Éducation Artistique et Culturelle (EAC), laissant toujours de côté l’enseignement spécialisé. Du côté des agents publics et des salarié·es, la précarité, la faiblesse des rémunérations et le manque de reconnaissance s’installent durablement. Les aspirant·es élèves stagnent sur des listes d’attente qui s’allongent d’année en année et voient leur choix de discipline artistique circonscrit à une offre restreinte.
Sur tout le territoire de la Nouvelle-Aquitaine, on compte seulement 24 conservatoires classés par l’État contre 114 en Île-de-France. Cela limite considérablement l’accès des élèves, notamment des territoires ruraux, à un enseignement spécialisé qualitatif et accessible financièrement.
Les artistes intermittent·es, de leur côté, se démènent pour dégoter les lieux qui permettront à des publics toujours plus variés de découvrir leur travail. Ils et elles se diversifient en développant des compétences notamment dans le champ de l’action culturelle et de l’EAC, complétant ainsi l’offre de structures auprès desquelles ils et elles sont déjà sollicité·es pour assurer la programmation musicale, telles que l’Opéra de Limoges, l’Orchestre de Pau-Pays de Béarn, ou l’Orchestre de Chambre Nouvelle-Aquitaine.
Pourtant, ils et elles se heurtent encore et toujours à la culture du travail illégal sous toutes ses formes. Le fonds « cafés, hôtels et restaurants » du GIP Cafés Cultures est chroniquement sous-alimenté et son second fonds « autres employeurs occasionnels », qui vise à aider les lieux atypiques à proposer des spectacles à des publics pouvant être ruraux ou éloignés de la culture, plafonne l’aide perçue à 300 € par employeur. Les besoins sont d’un ordre de magnitude supérieurs aux financements. Dans ces conditions, comment affirmer que la culture en ruralité est une priorité ?
Nous sommes rassurés d’apprendre que l’État, par l’intermédiaire de votre ministère, est déterminé à faire plus, mieux, et même différemment. Nous en concluons que vous comptez revoir à la hausse le financement des structures culturelles de région. En effet, et comme vous le dites très justement, les territoires prioritaires ne doivent pas rester une préoccupation formelle.
Vous mentionnez à de nombreuses reprises les « 22 millions de français qui n’ont pas la même facilité d’accès à des offres artistiques ». En réalité, ce sont 56 millions de françaises et de français vivant en-dehors de l’Île-de-France qui ne bénéficient pas de structures d’enseignement et de diffusion autant soutenues que les franciliennes. Pourtant, ces publics provinciaux et ruraux méritent la même qualité de programmation, d’offre éducative et de service public.
Depuis de nombreuses années, programmateurs, enseignant·es et artistes s’emploient à « se renouveler », « se réinventer », à « réenchanter » leur secteur, à assumer « un contexte de profonde mutation », à « repenser » leurs métiers, à « réimaginer » l’art. Tout cela ne peut plus masquer ni compenser le manque cruel de moyens dont souffrent tous les niveaux de collectivité et les associations culturelles. Il est temps pour l’État français de « réinvestir » dans la culture et de « réinjecter » des subventions dans nos structures en région.
Vous souhaitez « replacer la culture au cœur de notre projet de société pour que la culture soit une expérience offerte à tous et sur tous les territoires ». Soyez assurée que nous, artistes musicien·nes enseignant·es et interprètes de Nouvelle-Aquitaine, nous y attelons au quotidien avec passion, détermination et sincérité.
Cependant, nous ne pourrons pas nous passer de votre soutien et nous tenons à votre disposition afin d’échanger plus en détails sur ces sujets avec vous.
Dans l’attente d’une réponse de votre part, nous vous prions, Madame la ministre, de bien vouloir agréer nos plus respectueuses salutations.
Le Conseil Syndical du SAMNA-CGT.