Réflexion concert ONBA St-André du 10 avril 2020

Par cet article, le Syndicat des Artistes Musiciens de Nouvelle-Aquitaine souhaite revenir sur le concert donné le vendredi 10 avril 2020 dans le cloître de l’Hôpital St André par quelques musiciens de l’ONBA, sous la direction de Marc Minkowski – concert publié sur la page Facebook de l’Opéra National de Bordeaux le jour même, et très largement diffusé dans de nombreux médias. En tant qu’unique syndicat au sein de l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine, nous nous devions de réagir.

Tout d’abord, nous sommes persuadés que ceux qui ont eu l’occasion de vivre en direct cette prestation artistique auront sincèrement ressenti de la gratitude envers des artistes qui ont « osé braver » les consignes du gouvernement.

Ces consignes imposent à tout un pays de rester confiné pour limiter l’expansion de la pandémie COVID-19. Le domaine culturel a été l’un des premiers impactés par ce confinement auquel ses acteurs n’ont pu déroger, le respect des gestes barrières ne dispensant en rien de cet impératif. Par ailleurs le caractère public, la large visibilité de notre situation d’artistes, en tant qu’entité ou qu’individu, devrait nous imposer un devoir d’exemplarité quant au respect de ces contraintes.

En tant que syndicat national d’artistes, le SNAM, la veille du concert, a exprimé sa grande contrariété concernant la mise en œuvre de ce projet de soutien aux malades et personnels soignants en raison du non-respect évident, et isolé dans le paysage culturel, de ces consignes.

Cette prestation étant désormais actée, nous ne nous épancherons pas là-dessus. La question de « générosité, de culpabilité, de se devoir d’aider son prochain pour son bien-être, d’égocentrisme, d’altruisme » ne se pose pas. Devoir soutenir les malades, les soignants, ainsi que pour tous ceux qui vivent des tensions ou souffrances inacceptables, est pour nous une évidence vitale.

Il nous paraît néanmoins très important d’ouvrir une courte parenthèse et de revenir sur la manière dont s’est faite l’organisation de cette journée. En effet, des interlocuteurs privilégiés existent pour discuter des projets en amont, et si la Commission d’Orchestre, constituée des représentants élus de l’ONBA, a effectivement été contactée pour leur faire part de la demande de Fabien Robert, l’idée de se produire dans un hôpital ou une maison de retraite n’a nullement été évoquée, alors même que « certains » musiciens sélectionnés sur la base de critères qui demeurent inconnus avaient visiblement été consultés pour discuter et avancer sur les modalités de ce projet. Par ailleurs si une telle manifestation musicale doit être présentée comme une prestation de l’ONBA, cela implique qu’elle doit figurer au tableau de service.

Ne profitons pas de cette période exceptionnelle qui demande des réactions pour le moins inhabituelles pour ne plus respecter le cadre défini par nos statuts, ainsi que les artistes qui composent l’Opéra National de Bordeaux.

Fin de la parenthèse.

Le lundi 13 avril, le Président de la République a annoncé la prolongation du confinement jusqu’au 11 mai. Nous devons donc continuer de penser l’avenir autrement, et voici quelques réflexions.

Établissements de santé, lien social

Les hôpitaux, comme les EHPAD ou maisons de retraites, sont des lieux dans lesquels la musique et l’art en général sont des moyens de liens sociaux particulièrement bénéfiques, et ce tout au long de l’année. Nous ne pouvons à ce sujet que regretter que les musiciens de l’ONBA, hors période active de pandémie mondiale, ne s’y rendent presque jamais. Il a souvent été collectivement suggéré par les musiciens de se produire, en complément de la saison musicale traditionnelle, dans ce type de lieu, par exemple en doublant les concerts de musique de chambre du dimanche matin. Nous sommes convaincus que les rencontres artistiques et culturelles sont essentielles mais c’est dans l’ordinaire, au quotidien, que cet engagement auprès de tous, y compris des plus démunis, prend tout son sens. Ainsi une fois la crise passée, et ce même si les retombées médiatiques seront bien moindres puisque tous les musiciens permanents ou intermittents ici et ailleurs pourront faire de même, nous devrons être au rendez-vous.

En attendant ces jours meilleurs, nous pourrions réfléchir comment développer plus facilement et activement la diffusion d’anciens concerts symphoniques, ballets ou opéras enregistrés. Les hôpitaux bénéficient très souvent d’une chaîne de télévision leur permettant de communiquer au sein de l’établissement, cela pourrait par exemple être un moyen de diffusion très localisé. Pour cela, et pour une durée limitée, nous pourrions une nouvelle fois permettre une « entorse » des accords audio-visuels. Il pourrait même être imaginé, avec le Directeur Musical de l’ONBA, d’élaborer de courtes vidéos musicales travaillées, accompagnées de messages plus ou moins personnalisés, à destination directe et exclusive des malades, personnes âgées et/ou isolées, personnels soignants… Même si cela demande beaucoup de réflexion et d’inventivité, il existe certainement de nombreuses solutions en adéquation avec la situation contraignante actuelle.

Dans ce cas, seules les personnes concernées seront visées et touchées, évitant ainsi tout tohu-bohu médiatique, qui pourrait ressembler au final à une récupération et ainsi alimenter le doute autour de l’objectif altruiste et désintéressé présenté au départ. Pour l’instant la décence, ainsi qu’Emmanuel Macron, nous impose de nous tenir un peu à l’écart, avec humilité.

Restons clairvoyants, nous éviterons ainsi toute polémique inutile…

Lien avec notre public

Sur ce sujet, il nous semble que, même si il est encore possible de faire plus et mieux, l’ONBA en quelques semaines a su s’adapter avec succès à cette nouvelle situation : l’hyper activité de Ludwig sur la page Facebook de l’Opéra (et non sur celle de l’Orchestre, pour une raison qui nous échappe aujourd’hui encore), les nombreuses réponses positives des collègues aux sollicitations de Ludwig, la participation remarquable et enthousiaste des musiciens de l’orchestre au projet « Shostacovid ». Ce projet, représentatif de l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine, pourrait n’être que le premier d’une série se déclinant sous des formes à réinventer (différents groupes d’instruments, association avec Chœur, Ballet, etc …).

Nous ne pouvons à ce propos que regretter que cette vidéo n’ait pas été mise en ligne aujourd’hui, jour du concert où l’orchestre devait notamment jouer cette marche de Shostakovitch.

Nous déplorons également que la toute première apparition de l’ONBA, via les médias et les réseaux sociaux, soit un concert de seulement quelques musiciens, plutôt que ce clip si collectif, désindividualisé et symbolique de ce qu’est un orchestre symphonique, qui s’adapte par des moyens techniques adéquats aux conditions exceptionnelles. Ce concert, « traditionnel » malgré les circonstances, n’ayant fait l’objet d’aucune répétitions préalables, interroge dans sa présentation par rapport à notre devoir d’excellence, inhérente selon nous à notre mission de service public. Nous sommes stupéfaits d’apprendre que Mozart et Bach sont des compositeurs dont les œuvres ne « nécessitent pas de répétitions », selon les communications officielles. Nous espérons que dans l’avenir, les solutions trouvées pour poursuivre une activité artistique, malgré les nombreuses contraintes malheureusement à craindre, ne remettront pas en question le sérieux de notre travail, et notre responsabilité de faire entendre au public des prestations dont les conditions de préparation assurent impérativement une performance assurément accomplie.

Initiatives personnelles

De nombreuses initiatives personnelles sont prises, dans le plus grand respect des règles sanitaires de confinement, par des collègues de l’orchestre, du chœur ou du ballet. Certaines relayées par les réseaux sociaux, d’autres par la presse, et d’autres demeurant exclusivement dans le cadre privé (voisinage, ou autre). Ces initiatives existent également chez d’autres musiciens, intermittents, enseignants dans les conservatoires. Elles sont toutes louables mais nous serons certainement d’accord pour dire qu’elles ne sauraient rentrer dans le cadre de nos missions officielles. Pour finir, nous souhaiterions cependant revenir une dernière fois sur le concert du vendredi 10 avril. Sa médiatisation, notamment télévisuelle, a eu une grande utilité, puisqu’elle a permis à l’ensemble des musiciens – certains d’entre eux commençaient effectivement à nourrir quelques inquiétudes – de constater que leur Directeur Général était en parfaite santé. En effet l’absence totale de message de sa part à l’attention de l’ensemble des employés de l’Opéra National de Bordeaux depuis le début de l’épidémie devenait préoccupante.

Nous sommes persuadés que nous parviendrons ensemble à appréhender et inventer cet avenir, pour le moment incertain pour la culture.

Nous vous espérons toutes et tous en bonne santé. Continuez de prendre soin de vous.

Avec nos sentiments les meilleurs,

Pour le bureau du SAMNA-CGT,
Jean BATAILLON.